
Aux 100 plioirs
Les carreaux des dentellières.
Cet article est élaboré par un amateur graveur de plioirs, et, par ce biais, curieux de ce qui touche à la dentellerie. C'est une compilation d’informations glanées par-ci par-là, sans aucune prétention à l’exhaustivité ni à l’exactitude absolue. Chaque lecteur est invité à soumettre ses observations pour préciser, corriger ou compléter, dans le but d’enrichir cet essai de présentation de ces outils indispensables, depuis des siècles, à la confection de la dentelle aux fuseaux. Une publication destinée à évoluer au fil du temps.
La dentelle aux fuseaux nécessite un support sur lequel la dentellière plante les épingles pour élaborer sa dentelle. (la dentelle à l’aiguille ne nécessite pas ce support, encore qu’à Burano un coussin est utilisé mais de façon très différente : le coussin de Burano serait appelé "tombolo" de Burano ; c'est un petit traversin posé sur les genoux qui supporte le cylindre en bois où repose l’ouvrage).
Ce support où s'élabore la dentelle a évolué au fil du temps, et a pris des formes variées d’une région à l’autre. À la base, c’est un coussin assez ferme permettant d’y planter des épingles sur lesquelles viendront s’appuyer les fils pour diriger leurs cheminements.
Ce coussin, d’abord carré ou rectangulaire, bombé, limitait la longueur de l’ouvrage : en arrivant au bas du coussin, il faut l’extraire du coussin pour le réinstaller au haut du coussin afin de poursuivre la réalisation d’un long ruban.

La longueur du coussin avait donc intérêt à être plus grande :


Le coussin s’est modifié en devenant un cylindre. Cela permettait de faire de la dentelle au mètre en continu, aussi longue que nécessaire. Une longueur de 13 m était adaptée à la commercialisation. Ce coussin cylindrique était posé sur les genoux, comme le faisait la dentellière qui nous fait face …
​


… mais le plus souvent sur un support. À mesure que la dentelle s’allongeait, la partie supérieure de l’ouvrage était détachée du coussin et enroulée sur un plioir, et le cylindre était tourné vers l'avant pour poursuivre l’ouvrage.
Ce support pouvait être un simple panier, un chevalet ou un meuble unipode qui permettait d'avoir les pieds isolés du sol.


Ce coussin cylindrique est parfois appelé "polochon", et "rouleau" à Saint Petersbourg. Un coussin long (cylindrique ou plat) peut être tenu, en bas sur les genoux et en haut appuyé sur le rebord d’une table ou sur le dossier d’une chaise
Le coussin cylindrique peut être intégré dans une structure plus sophistiquée permettant sa rotation autour d’un axe horizontal ; ce pouvait être un caisson rigide englobant le rouleau, recouvert de tissu ou de toile cirée, et sur lequel les fuseaux pouvaient être posés ; ce type de carreau semble avoir été assez répandu en particulier dans le Massif Central (d’où son nom de « carreau du Puy »). Une dentellière de Provence le dénommait « boule de neige » (comme me l’a signalé Sophie Robert en me précisant que cette notion demandait à être confirmée ; j’ai pu voir qu’il existait « fin XIXeme siècle un joli magasin de dames situé dans la ville du Mans … il s’appelait La Boule de Neige … qui vendait le matériel nécessaire à la confection de la dentelle aux fuseaux, carreaux, fils, fuseaux, épingles … » (#http://dentelleetpapillon.eklablog.com/le-secret-du-vieux-carreau-a49696344) … ce qui laisse penser que la dénomination boule de neige n’est pas générique mais commerciale).



Le carreau peut être constitué d'une boite (avec ou sans tiroir) dont les deux cotés latéraux, allongés vers le haut, supportent l’axe du rouleau, avec un mécanisme de blocage du rouleau. Ce modèle est répandu en Andalousie (et sans doute plus largement en Espagne) :




Le coussin du Queyras, appelé « tambour », est composé de deux joues en bois d’arole (=pin cembro) sculpté au couteau ; ces joues sont réunies par un moyeu creux, l’ensemble constituant une bobine. La gorge de cette bobine était garnie de paille ou de crin animal ou végétal, puis recouverte de tissu tendu entre les joues de la bobine. Le moyeu de cette bobine est accessible par un portillon au centre d’une joue pour y ranger le petit matériel. Le support du tambour est souvent une œuvre d’ébéniste. Sous l’impulsion de Claire Le Goaziou, le tambour du Queyras a retrouvé un certain attrait .... et des amateurs pour en réaliser des versions contemporaines.

On trouve en Tarentaise et Maurienne des coussins en forme d’anneau, ou de pneu, construits avec des tresses de paille reliées entre elles par de l’éclisse de noisetier ou par de la ficelle de chanvre. Cette ossature cylindrique de 40 cm de diamètre et 18 cm de large est recouverte de paille maintenue et compressée par une grosse toile cousue et tendue par de la ficelle. Cette toile est recouverte d’un tissu (le plus souvent rouge ou à rayures). Sur ce tissu est souvent plaquée une bande de tissu rayé qui en fait le tour en son milieu. (je tiens ces renseignements des Dentellières de Haute Tarentaise, qui l’appellent tout simplement « coussin » ) Ce coussin (de Savoie pourrait-on dire) se tient coincé entre les genoux ou sur un support unipode.



Dès la fin du XXème siècle, la plupart des coussins ont été remplacés par des carreaux plans, constitués de pavés de polyuréthane recouverts de tissu. Ils sont carrés, ronds ou octogonaux. Ils ne sont pas adaptés à la réalisation de la dentelle au mètre ; par contre ils permettent de réaliser des ouvrages de surface importante. ( "Certains supports plats ont des carreaux amovibles ,ce qui permet de déplacer la Dentelle sans enlever les aiguilles et cela facilitée grandement le travail de la dentellière" Monique .)

Et les hommes ... pourquoi pas ?
Il me reste à savoir pourquoi le terme « carreau » évoque l’ensemble de ces outils indispensables à la dentellerie, alors qu’on le nomme métier en Normandie, carreau du Puy dans le Massif Central, tambour au Queyras, coussin en Savoie, pelochon, tombolo … et je reste intéressé par les précisions qui me seront données.... par exemple en me laissant un post sur ce blog.
​
Merci de votre attention ... et de vos réactions
Christian Belmont
Annexe 1 : le tombolo de Burano, l'ile vénitienne des couleurs et de la dentelle à l'aiguille
