Aux 100 plioirs
Il fut un temps où la dentelle avait bien plus d'importance que de nos jours. La confection, ainsi que les vêtements et ornements d'église, en faisaient grand usage. Et pour fournir toute cette dentelle, un grand nombre de dentellières à domicile s'appliquaient à cette production en y consacrant tout leur temps libre. Elles élaboraient de la dentelle au mètre : de longs rubans dont elles maitrisaient parfaitement le dessin qu'elles répétaient inlassablement. A mesure que la dentelle sortait de son carreau, la dentellière la pliait sur un plioir, une planchette sculptée recto et verso. Ainsi pliée, la dentelle était rangée sans se froisser, avant que le collecteur vienne la chercher en lui apportant du fil pour continuer.
Ces planchettes avaient une taille d’environ 16 à 20 cm de long sur 8 à 10 cm de large. C’était souvent le fiancé ou le mari de la dentellière (et parfois un chiourme de passage) qui les fabriquait, le soir à la veillée, avec son couteau de poche.
Le sculpteur utilisait le bois du pays, hêtre, érable plane, noyer, tilleul, charme, ou un fruitier comme cerisier, pommier, poirier ou prunier. Les motifs comportaient le plus souvent les rosaces et les rouelles dans leurs nombreuses interprétations, mais aussi les cœurs pour dire leurs sentiments et les signes religieux comme les croix et les calices.
Le plioir pouvait être personnalisé avec des noms et des dates.
La dentellière qui connaissait bien son plioir savait assez précisément la longueur de dentelle représentée par chaque tour de son ruban autour de sa planchette.
Au 19 ième siècle, quand il y avait un grand nombre de dentellières à domicile (160.000 autour du Puy en Velay)* , il existait beaucoup de plioirs. L’industrialisation de la dentellerie en a considérablement réduit le nombre. Ces plioirs sont devenus des pièces de collection.
Il persiste cependant encore de nombreuses dentellières qui cultivent cette passion de la dentelle aux fuseaux, et certaines apprécient d’enrouler leur ruban de dentelle sur un joli plioir logé à l’arrière de leur carreau. D'autres dentellières ne font pas de dentelle au mètre, mais savent la valeur symbolique de cet objet emblématique de la grande histoire de la dentellerie. D'autres encore y voient un objet décoratif. C’est pour cela que certains sculpteurs sur bois imaginent et réalisent ces plioirs.
Pris de passion pour les plioirs à dentelle, mon imagination ne loupe pas l'occasion d'une nouvelle création, et le catalogue s'accroit. C'est une excellente façon de faire honneur à la mémoire des historiques laborieuses utilisatrices de plioirs.
CB 2021
* Alain Bordet , dans son Histoire Dentelle aux fuseaux et Dentelle à l'aiguille d'Arlanc (30 01 2017) : "D'après un rapport du ministère de l'industrie et du commerce , en Janvier 1950, il est cité que le nombre des dentellières dans le Puy de Dôme a été à un moment donné de 120.000 personnes. Le nombre d'ouvrières en Haute Loire était en 1867 de 150.000 dentellières"